Quoi qu’il arrive

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En 1958, Eva a dix-neuf ans, elle est étudiante à l’université de Cambridge et amoureuse de David, un acteur follement ambitieux. En chemin pour un cours, son vélo roule sur un clou. Un homme, Jim, assiste à la scène. Que va-t-il se passer ? Un point de départ, trois versions possibles de leur histoire.

Quoi de plus romanesque comme idée de départ ? Qui ne s’est pas retourné sur sa propre histoire en se demandant « Et si j’avais fait autrement, et si j’avais raté mon train, et si j’avais décidé de rester chez moi ce soir-là.. » Avec des « Si » on fait des beaux romans ! Et il est vraiment intéressant de se rappeler à quoi tient une vie, un élèment perturbateur tel un chien qui se jette en travers de la route, c’est le propre même des accidents et des rencontres.

De 1938 à 2014, l’auteur s’amuse à faire se croiser et se recroiser nos deux héros, et au fur et à mesure de leurs trajectoires se rajoutent des personnages, des évènements. La théorie semble être de dire que quel que soit le chemin emprunté, on serait de toutes façons voué à se retrouver. Pourquoi pas, mais cela prendra des chemins bien différents : la gloire (ou pas), la réussite, la maternité, le divorce, la folie. Flopée de routes que l’on emprunte ou pas, multitude de vies que l’on ne vit pas… aucune direction, aucune vie n’est idéale, en fin de compte.

Mon souci avec ce livre a été de m’être très rapidement perdue entre les années et les personnages, les histoires s’entremêlent et les épisodes se confondent, je me suis accrochée au début pour garder en tête à la fois l’époque et la version, mais au bout d’un moment j’ai lâché l’affaire. J’ai fini le livre, mais il avait perdu tout sens pour moi. Je pense que les versions auraient dû garder quelques lignes communes, au moins un fil directeur plus fort qu’une attirance entre Jim et Eva, peut-être aussi que la période racontée n’aurait pas du être aussi longue. Au départ on suit les personnages année par année, puis décennie par décennie, à la fin on attend qu’ils meurent, version par version… Déprimant, non ?

Quoi qu’il arrive de Laura BARNETT, Editions Les Escales

Une Allure Impeccable

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1947. Lucky, Praline, Bettina, et Freddie (la narratrice) : ce sont les noms de scène de ces jeunes mannequins ambitieux et bien décidés à conquérir le monde. Dans une époque troublée elles semblent vivre dans une bulle en dehors des réalités, elles ont la plupart du temps été rejetées par leurs famille (en 1947 les mannequins étaient déjà emprisonnés dans les clichés de fille facile et les mythes entourant le milieu de la Haute Couture) et se dévouent entièrement à défendre la vision de la femme que souhaitent imposer de jeunes créateurs, une image qui fait rêver. Christian Dior, Jacques Fath, Germaine Lecomte… la créativité bat son plein, les défilés se succèdent et les voyages aussi, on y croise Marlène Dietrich tandis qu’en coulisse se jouent des carrières aussi brèves que des étoiles filantes. Hiérarchie, compétition, jalousie… et recherche d’un mécène, car une fois les lumières de la scène éteintes, quel avenir, quelle reconversion ?

C’est toute l’ambiguïté de ce métier qui émancipe, essore et finit par rejeter. Un milieu à l’étiquette détaillée et une atmosphère folle que l’auteure restitue brillamment, assortie d’une belle réflexion sur la beauté qui fane et bien sûr, les apparences. Lorsque la tragédie s’invite, les destins sont chamboulés et les personnages créés de toutes pièces volent en éclats. Alors commence une nouvelle partie que je n’ai pas comprise, on dirait un autre livre, une toute autre histoire, inspirée elle aussi d’un personnage réel mais où l’on ne reconnait plus Freddie. Je n’ai pas réussi à la suivre dans le monde de la nuit et dans sa double vie.

J’avais vingt-deux ans, quand la vie pèse plus lourd que l’Histoire.

 

{Une Allure Impeccable, Aude Lechrist, Editions Stock}

 

Tout ce qu’on ne s’est jamais dit

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Lydia, 16 ans, s’est noyée, Lydia est morte, nous lecteurs le savons dès les premiers mots, mais pas sa famille, pas encore. Meurtre, accident, suicide ? Qu’est-il arrivé ? Très rapidement on comprend que ce n’est pas cette histoire-là que raconte le livre, mais celle d’une famille où les secrets se sont empilés et les espoirs étouffés.

Le père, James Lee, professeur d’université d’origine chinoise ayant toujours souffert de cette différence (nous sommes dans les années 70) rêve pour ses enfants d’une intégration réussie. La mère, Marilyn, a abandonné ses ambitions pour devenir mère au foyer et a fini par reporter sur sa fille aînée tous ses rêves d’émancipation. Son frère et sa soeur souffrent de la solitude la plus écrasante. Ils s’aiment tous, mais mal, et se taisent, écrasés par toutes ces choses qu’ils n’ont jamais osé se dire.

Lydia est la préférée, celle vers laquelle convergent tous les sentiments, le centre de l’univers familial concentrant toutes les espérances, telle une lourde masse sur ses épaules. Silencieuse, secrète, soumise, et surtout seule, tellement seule, Lydia. Nath, son frère si torturé, cherche à fuir à tout prix, et Hannah, sa petite soeur en quête éperdue d’affection, est invisible aux yeux de tous. La vie de leurs parents ressemble à un catalogue d’opportunités manquées avec la frustration pour seul moteur. Tandis qu’à l’extérieur la famille subit le racisme ordinaire au quotidien, en leur sein chacun fait preuve d’une cruauté involontaire à force de vouloir camoufler ses secrets et sa douleur. Tandis que le silence et la tristesse s’abattent, le deuil offrira peut-être à chacun l’occasion de se révéler, d’oser, et de trouver enfin cette place qui leur manque tant.

C’est un roman noir qui réussit le bel exploit de passionner avec un suspense uniquement psychologique, d’une justesse et d’une finesse folles, une réflexion sans concession mais très juste sur l’ambition qu’on a pour nos enfants et leur crainte de nous décevoir, leur faculté à se rebeller aussi. De quoi donner envie de prêter davantage attention à ses proches, mais une réelle attention, pas celle qui reste à la surface des choses. Une grande réussite pour un premier roman d’une incroyable maîtrise !

{Tout ce qu’on ne s’est jamais dit, Celeste Ng, Sonatine Editions}